REVIEW: PRIMAVERA SOUND FESTIVAL 2022

Après trois ans de suspension, il y avait incontestablement une certaine jubilation à retrouver l’ambiance de Primavera, le soleil de Barcelone, la dizaine de scènes en parallèle et la programmation à la fois ouverte et exigeante. Nouveauté de cette édition : elle s’étend sur deux week-ends, certains groupes jouant plusieurs fois, et elle propose des concerts « en ville », c’est-à- dire hors du site en plein air pendant la semaine intermédiaire. Une offre donc encore plus pléthorique que précédemment !

Jour 1: Premier concert « en ville » à Poble Espanyol, improbable écomusée présentant des exemples reconstitués des différentes architectures vernaculaires du pays et vestige d’une exposition universelle…
C’est donc sur la place d’un faux village que le festival commence avec les Linda Lindas : des filles d’origine asiatiques, lookées comme des rebelles de manga et qui font un punk énergique et bien sympathique à défaut d’être très original. C’est une excellente mise en jambes !

Wet Leg

Justement on enchaîne avec Wet Leg qui fait (sans surprise diront ceux et celles qui ont vu leur récent concert parisien !) une super prestation… même si l’une des deux ressemble de plus en plus à Dawn French jouant les rock stars. On espère qu’elles garderont longtemps cette fraîcheur espiègle.
Drôle de choix de programmer ensuite Teto Preto dont le show expérimentalement queer ne passe vraiment pas la rampe… il est sans doute beaucoup trop tôt pour apprécier ce genre de proposition. Mais suffisamment tard pour aller se coucher !

Jour 2: L’appel de la plage est plus fort que Kim Gordon que finalement je ne suis pas allé écouter… l’album ne m’a par ailleurs pas vraiment accroché.

On commence donc la journée avec Les Savy Fav qui déchirent (littéralement) tout, dans une sorte de joyeux bordel pas passionnant musicalement mais tellement sympathique. Même s’il n’a pas résisté longtemps, on note un premier costume blanc…
Dinosaur Jr. fait une prestation parfaite, pleine de l’énergie mélancolique qui fait la beauté du grunge : meilleur concert du jour !
Par contre, grosse déception avec Sharon Van Etten qui s’égare dans un registre « variété rock » pas intéressant du tout… l’Eurovision n’est pas loin et je ne résiste pas longtemps.
Bon, ça doit être une question d’âge, mais je cauchemarde littéralement en me retrouvant à la fin du concert de Charli XCX… tout me semble atroce, commercial et vulgaire !
Du coup je manque de courage et d’énergie pour attendre Tame Impala et Pavement ensuite. Tant pis, c’est le principe de ce genre de festival !

Jour 3: Salle comble et très enthousiaste pour les vétérans de Low… il y aurait a priori tout pour me plaire mais je ne rentre vraiment pas dans cette musique. Je profite du confort de la salle Rockdelux pour me reposer un peu… Un quart d’heure de Weyes Blood suffit pour percevoir à la fois son talent et les limites de celui-ci (et un nouveau costume blanc !) Tout ça manque tout de même de rock !

Fontaines DC

Heureusement on a ensuite rendez-vous avec Fontaines D.C. qui assure notre gros concert du jour. Prestation impeccable, Griam Chatten est magistral et semble être notre nouvelle victime expiatoire portant sur elle tous les excès que nous nous refusons… C’est brut et collectif, on sent les influences de toute la scène indie des vingt dernières années, c’est tout ce qu’on aime. 

Par contre, Beck (en costume blanc !) fait un show digne de Vegas et complètement désincarné. Le Monsieur cachetonne sans conviction mais avec de jolis effets vidéo. C’est un peu triste à voir…

Warpaint

Enfin, grosse (bonne) surprise pour moi (merci Martin !), avec Warpaint qui nous a offert une magnifique moment, avec une esthétique très riche et variée, et une posture féministe parfaite. On espère que leur prochain enregistrement rendra mieux justice à leurs qualités musicales que le dernier, que la production a rendu beaucoup plus terne que leur prestation sur scène.

Je suis hélas rentré avant Caribou, qui semble avoir fait l’unanimité avec une prestation instrumentale follement précise et maîtrisée.

Jour 4: Il a fallu pas mal de cran à Dana Margolin pour assurer seule avec sa guitare le concert de Porridge Radio, les autres membres du groupe n’ayant pas pu faire le voyage pour cause de Brexit… Rien de révolutionnaire, on est clairement dans la veine de Kae Tempest, mais elle met tellement de sincérité dans tout ça qu’on est conquis. À revoir en formation complète !

Porridge Radio

Malgré le grand soleil et l’horaire de début de soirée, Einsturzende Neubauten a réussi à mettre peu à peu en place la mélancolie de son cabaret expressionniste et bruitiste. C’est une première pour moi et je comprends mieux la fascination que ce groupe peut exercer, tant il déploie une force de conviction impressionnante.
Par contre, grosse déception avec Black Country, New Road : suite au sublime « science Fair » (l’un de mes morceaux préférés de ces derniers mois), j’attendais une sorte de relève électro acoustique de Sonic Youth, avec un côté arty et expérimental… et nous nous sommes retrouvé avec une bande d’étudiants en musique qui s’amusent entre eux et font de la jolie musique qui tire plus vers les comédies musicales de Broadway que Daydream Nation. Le départ du premier chanteur semble avoir littéralement fait exploser le projet esthétique du groupe…
J’ai ensuite enchaîné par une petite demi-heure de Nick Cave & The Bad Seeds. Confirmation : le bonhomme est en train de devenir le Mick Jagger de notre génération. Il déborde d’énergie, le show est parfaitement maîtrisé et assure le fan service, mais tout cela semble creux et sans âme… Dans le rock, il faut toujours se souvenir de la leçon d’Elvis et s’arrêter avant le stade Vegas (bis) !
Et finalement, contre toute attente, le concert du jour sera celui des  incandescents vétérans de Bauhaus : une dose bien concentrée d’énergie noire injectée directement dans les veines d’un festival qui semble parfois s’égarer loin des fondamentaux. Tout était parfait, nous avions tous 20 ans et on y retournera dès que possible !
Après cette leçon, le son vraiment bourrin d’hétéros bourrés d’ Idles m’a fait fuire. Quelle horreur, on se serait cru dans une tribune de (sweet and tender) hooligans.
Du coup, je n’ai pas eu le courage d’attendre Beach House qui passait à un horaire indécent.

Jour 5: Trop de monde (ou salle trop petite ?) pour le concert « en ville » de The Magnetic Fields… je n’ai pas pu rentrer. Malgré un premier jour où l’on a senti la présence de tout une faune venue plus pour Instagram que pour la musique, le festival garde cette capacité de faire venir de toute l’Europe des vrais fans de musique et de remplir des salles avec des groupes qu’on pensait plus ou moins oubliés ou super pointus. D’un coup, on se sent moins seul et ça fait du bien ! D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, il faut noter la forte visibilité que les LGBTI+ et les queers ont gagnés au fil des années à Primavera. La grosse association LGBT barcelonaise assurait par ailleurs une permanence pour reporter tous comportements LGBTphobes et diffusait des messages de prévention. Et ça aussi, ça faisait du bien.

Photos: Mat Rinkham

PhC