Le concert des Dead Can Dance je l’attendais tel une chimère, le passage de la comète de Halley ou un mec dispo sur Grindr, et pourtant me voilà enfin assis tout près du rêve. Accompagnent les Dead sur scène monsieur Perry-le-frère avec barbichette en tresse, la dépouille soignée d’une choriste de contrechant, et ce choupinou de percussionniste dont on pense tout le bien pour sa maîtrise du djembé et la palette des possibilités que sa dextérité nous évoque. Plus d’autres cachés sous la tunique de Lisa, généreusement parée comme un pope orthodoxe après un destockage de passementerie.
En ouverture on puise aux sources lorsque la voix profonde et envoûtante de Brendan attaque avec « Anywhere of the world » pendant que Lisa tambourine des martelets sur le cymbale. On enchaîne avec les classiques que le public absorbe extasié et marque d’applaudissements, seuls éclats de fougue pendant un concert à l’allure de cérémonial sacré. L’interaction se fera d’ailleurs par la musique seule, puisque Brendan ne profère qu’un “bonsoir” au début et un à la fin et que, pendant que lui il chante, la déesse Lisa, les mains au ventre, marque le rythme juste en tapotant les phalanges droites sur le dos de sa main gauche, avec le même geste qui nous faisait distinguer mémé réveillée de mémé endormie quand on lui rendait visite à la maison de repos.
Pendant un moment, le choix des morceaux valorise la présence vocale de Brendan, dont le timbre et la modulation le propulsent aux sommets des sublimes crooneurs, toujours tiraillé entre l’univers de Scott Walker et celui de Frank Sinatra (« The Carnival is Over »), jusqu’à ce que que Lisa ne nous livre sa délicate « Sanvean ». Son chant nu en « The Wind That Shakes the Barley » nous garde suspendus à ses lèvres jusqu’à ce que « Yulunga » estompe la tension en rythmes du Proche-Orient, si bien qu’il suffit de baisser ses paupières pour la voir transmutée en Rika Zaraï nous élargir des loukoums en lançant un sirtaki. Profitant d’une courte absence de Lisa, l’égo de Brendan se pavane d’une « Song to the Siren » dont le rendu frôle dangereusement Bono Vox. Mais ce soir on va tout lui pardonner, du moment qu’avec leurs voix les Dead pourraient gazouiller même l’annuaire téléphonique, et si ça se trouve ils l’ont déjà fait car personne d’entre nous ne saurait corriger leur diction tatare (sauf mon pote Fred, mais c’est parce qu’il ne baise pas assez).
Si à cette soirée on devait trouver un seul reproche ce serait la sobriété de la mise en scène, car pour le même prix Kylie claque tout en lumières, paillettes et cotillons ; ici on n’a eu droit qu’à trois tapis persans alors qu’on aurait pu investir dans des cours de voltiges soufi pour le percussionniste, qu’il exprime encore mieux la puissance qu’on lui devine. Mais tout scrupule est dissipé dès que la rentrée nous offre l’apex avec « Cantara », et envahi par tant de surnaturel je quitterai le théâtre en lévitant jusqu’au sabbat le plus proche.
Edo