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Jenny Wilson – Exorcism

Jenny Wilson sortira son 5ème album baptisé Exorcism le 23 mars. Pour l’occasion j’ai pu la rencontrer afin de lui poser quelques questions. 

Il y a un mois sortait le premier single intitulé Rapin*. Le titre aborde frontalement le viol dont Jenny Wilson a été victime il y a deux ans. Il est illustré par un clip réalisé par l’artiste Gustaf Holtenas qui prend la forme d’un film d’animation cauchemardesque et horrifique: “Au début je me suis demandé si j’allais sortir un autre titre comme premier single qui ne serait pas aussi brutal, et puis j’ai considéré que Exorcism est entièrement consacré au viol. Et nous avions créé cette vidéo vraiment très belle donc on s’est dit ok, ce sera l’introduction à mon histoire.”
 
Pour Jenny Wilson faire un disque qui raconterait une histoire aussi personnelle et dramatique semblait être nécessaire. “Très peu de temps après l’incident, j’ai su que je devais écrire à ce sujet.” et d’ajouter “J’ai tout de suite su que je devais en faire un disque, mais je ne le voulais pas car j’étais effrayée, presque paralysée pendant les 6 mois qui ont suivi. Je ne pouvais pas toucher un instrument, je ne pouvais pas chanter. Chanter c’est tellement physique, et mon corps était éteint. Mais mon esprit me disait que je devais m’en défaire, en parler.” 
 
Elle explique avoir donc principalement travaillé seule sur ce projet. “J’écris tout, j’enregistre tout, ce que j’appelle l’univers sonore, les boucles, les sons, et j’ai terminé en studio pour enregistrer les voix et mixer tous les détails. J’ai travaillé peut-être un an par moi même.”
 
Difficile de ne pas se poser la question si un tel disque est pour elle une forme de thérapie. “Oui, bien entendu c’en est une. Tout le monde me pose cette question, c’est une question nécessaire à poser. Mais sans une vraie thérapie je n’aurais pas trouvé cette lumière. J’ai travaillé sur ce trauma à de nombreux niveaux. Et faire cet album et cette musique fait partie de la guérison.” 
Il n’était pas possible non plus de ne pas évoquer le mouvement #metoo et demander s’il avait eu un impact sur la sortie de l’album. “Complètement; le mouvement a explosé en Octobre il me semble. Et à ce moment mon album était quasiment terminé. Je terminais la production. Mais à ce moment là j’avais inclus toutes les personnes avec qui je savais que j’allais travailler. On parlait, débattait sur comment et combien je pouvais révéler, dire ou montrer. Et quand tout ça est apparu, j’ai été soulagée, heureuse car cela allait pouvoir changer les choses. On a vu immédiatement que des choses changeaient en Suède suite à ça. Mais pour moi, personnellement et égoïstement, c’était formidable car j’étais tellement stressée et effrayée d’avoir à être une porte parole parce que je n’avais aucune déclaration à faire sur le sujet. Je suis juste une femme qui se trouve être une artiste qui utilise sa vie pour son travail.”
 
Lorsque l’on découvre les paroles des 9 titres qui composent l’album on est surpris par le côté très direct du texte, elle s’en explique ainsi. “Ca n’a pas été tout de suite évident de savoir comment j’allais écrire sur le sujet. Au début je me suis dit que je devrais peut-être rendre ça plus intellectuel, et puis finalement il fallait je le fasse à un niveau physique. Et la musique est aussi très physique. Et c’est ce qui m’a amusé en faisant cet album et excité de faire ce style de musique que j’aime tant. J’adore rouler très vite dans ma voiture en écoutant ma propre musique, PERVERT ! [Elle éclate de rire] J’adore ce style de musique, j’adore danser. Je crois que j’en aurais été malade si j’avais du faire de la musique triste comme on pourrait l’imaginer suite à un trauma comme celui là. [Elle imite un pianiste triste, les yeux au ciel] Faire de la musique est tellement physique.” Elle fait une pause.” Cette histoire est tellement dure que je ne devais pas l’emballer dans une poésie obscure, je devais juste la raconter.”
 
Le contraste est saisissant, entre le côté sombre des textes et la musique électronique qui l’accompagne. Il semble compliqué de s’imaginer danser et s’amuser sur une telle histoire, ce qui est pourtant le cas. “Je ne veux pas vous forcer à danser mais vous devez le faire. La beauté de la vie c’est de ne pas savoir où cela va nous mener. C’est une putain de route qui parfois vous fera mettre le pied sur une mine et d’autres fois vous serez au milieu d’un champ de fleurs. La beauté de l’art c’est que vous pouvez prendre quelque chose de tellement, tellement sale et en faire quelque chose de magnifique.” Elle me dit être même impatiente de faire danser le public “Je me languis de pouvoir monter sur scène, ok j’ai fait un album super sombre, mais j’ai aussi fait cette putain de bonne musique que je suis impatiente de jouer en live. C’est fun de jouer, de chanter. Je ne suis pas une personne sombre ou dépressive, je suis une personne bêtement heureuse. Ca s’est passé il y a 2 ans maintenant, j’y ai pensé, j’y ai travaillé, et maintenant je sens que je suis sur une bonne voie.”

Après avoir parlé de la création de l’album, il était temps d’aborder la plupart des titres. Après avoir écouté plusieurs fois l’album en préparant l’entretien, je me permets de lui demander quelques explication sur certaines phrases qui ont retenu mon attention.

 “LO’ HI’, mon dernier single, tout le monde peut la chanter en même temps. C’est une chanson facile, mais la gaîté cache la noirceur de l’histoire.” Avant de se reprendre immédiatement “Non, elle ne la cache pas, elle la transporte.”

Sur Disrespect is Universal, Jenny Wilson retourne la situation pour prendre le dessus, comme lorsqu’elle chante “I will come back to you, you will never forget, I have the talent to tell”. Je lui demande de m’expliquer ce passage de la chanson. “C’est certainement ma seule arme, mais c’est surtout mon seul outil, c’est mon langage. Et je me sens bénie de pouvoir faire quelque chose de bien avec ce qui ne l’est pas.” Elle explique aussi “Disrespect est un mot fort. Après l’incident j’étais perdue. Qui je suis ? Pourquoi ça m’est arrivé à moi ? C’est une question naturelle qu’on a le droit de se poser. Pourquoi moi, pourquoi lui… la seule réponse que j’avais était que ça peut arriver à n’importe qui, ça peut être n’importe qui. Je ne dis pas que tous les hommes sont des violeurs, définitivement non, mais ce n’est peut être pas la personne à laquelle vous pensez. Et cette chanson parle de comment cela peut arriver parce que notre société ressemble à ça, elle autorise les hommes à utiliser leur violence et leur pouvoir.” 

Exorcism est le titre le plus hypnotisant de l’album, il reprend aussi ce thème, notamment avec les paroles “I am ready for this fight”. Jenny Wilson l’explique ainsi “C’est le seul titre de l’album qui a de la colère et un sentiment de revanche. N’importe qui qui aurait vécu ça, doit jouer avec ce sentiment de revanche. C’est le seule titre qui a cette explosion d’agressivité. C’était très important pour moi de faire un album où je pouvais montrer à quel point je m’étais sentie vulnérable, brisée et diminuée. Et aussi que je ne suis ni forte, ni une combattante. Enfin si je le suis quand même un peu…”
 
Sur the Prediction elle pose la question “give me a reason, can you explain it”“C’est quand tu sens que tu ne contrôles pas ce qui se passe dans ta vie, tu ne peux pas décider. Parfois on peut décider, mais parfois on se retrouve dans des situations qu’on n’a pas choisies. Tout ça parle, exprime, le fait d’être vulnérable et humble par rapport à comment vivre sa vie. Est-ce que cela a du sens ? Parfois je m’entends parler et je ne sais pas ce que je dis. ([Elle rit]”
Mais Jenny Wilson exprime aussi une certaine tristesse face à l’avenir, en l’occurence avec cette phrase “The futur just disapoint me”. “C’est ma phrase la plus forte de l’album. [Elle lève à ce moment-là la tête et les bras exagérément pour montrer sa fierté] Je me suis sentie dévastée, triste. Ce qu’il faut savoir sur cet album, c’est qu’il ne s’agit pas que du viol, mais aussi de ce qui s’est passé après. J’ai perdu ma boussole interne, mes émotions. Quand vous êtes en bonne santé, heureux vous pouvez écouter les signaux de votre corps. Mais quand vous êtes brisée, ça ne marche plus. Et je me suis dirigée vers une horrible relation où j’ai été maltraitée. Je pensais être une quarantenaire intelligente et forte et maintenant je suis dans l’ignorance.” Elle ajoute. “It Hurts, your angry bible, it’s love (and I’m scared), forever is a long time parlent de ça. A vrai dire, la moitié de l’album parle du comment on se sent quand on a vécu ça et qu’on ne se sent pas guérie et perdue dans sa vie.”
 

Jenny wilson Portrait

Je lui fais quand même remarquer que l’album se termine sur une touche positive avec les mots “It’s gonna be alright“. Et donc pour terminer cette interview, je lui demande si elle pense donc que tout va bien se passer. Elle sourit, lève son verre et m’invite à trinquer avec elle et me dit “C’était important pour moi de mettre cette chanson à la fin, car c’est un pas hors des ténèbres”. Une belle conclusion à ses 30mn passées en sa compagnie.

Sortie prévue le 23 mars

Label: Gold Medal Recordings.

En concert à l’espace B le 24 avril.

 

Propos recueillis par Franck